Je te vois venir avec tes gros sabots et ton rire gras. Mais non, je vais pas parler de ça, bien évidement.
J’ai toujours aimé ces moments où, sans jamais m’y attendre, et parfois sans même y faire attention, mon oreille est captée par quelques notes de musique, un morceau inconnu. Qui ne le restera pas longtemps, car sous le charme d’un rythme, d’une voix, parfois d’un groove, je ferai ce qu’il faut pour retrouver l’artiste qui a su faire naitre une belle émotion, un grand sourire, une envie de danser, un peu d’eau dans mes yeux, ou que sais-je encore.
Alors je vais tendre l’oreille à la fin du morceau pour entendre le nom de l’artiste, aller consulter mon ami google avec quelques paroles soigneusement retenues, demander à celui qui a eu la bonne idée de mettre ce morceau dans la playlist de la soirée, regarder sur le programme du festival quel est donc le nom de ce groupe, ou chercher sur la pochette de l’album quelle est cette voix inconnue invitée sur l’album d’un autre.
Je me souviens très souvent, lorsque j’aime vraiment un artiste, du moment exact auquel je l’ai découvert. Je me rappelle toujours de l’émotion précise que j’ai ressentie en l’entendant pour la première fois. Et j’aime ces petites histoires, cachées dans la grande, ces petites histoires de toutes les premières fois, de toutes mes découvertes musicales.
Quelque part entre 2007 et 2008, une publicité pour une voiture dont je ne me rappelle même plus la marque (oui, je suis bien plus intéressée par la musique que par les voitures, étonnant), et ce morceau, à la fois old school et hip hop. Me voilà sur Google, avec une recherche ressemblant à « pub mercedes (j’ai choisi au hasard) hip hop chanson », découvrant Chinese Man et le morceau I’ve got that tune.
Un jour chez mon père en Bretagne, sur une chaîne musicale, le tout nouveau clip d’un jeune américain à la voix cristalline est diffusé, et je relève la tête. L’air est entrainant, simple, et mon visage affiche un grand sourire. Plus tard, au milieu de la nuit, dans mon appartement près de Cannes, je reste bloquée, les yeux mouillés, devant un concert de ce jeune homme, seul avec sa guitare, et en particulier devant le morceau Plane, qui éveille en moi un tas d’émotions indescriptibles. Depuis des années, Jason Mraz est l’un de ces artistes que j’écoute par « instinct de survie », quand les choses vont mal, que j’ai besoin de me rassurer.
C’était en 2009 à Nice, je rentrais de l’école en voiture, et à la radio (à l’époque probablement Europe 2, j’adorais Europe 2), quelques notes de guitare, un air simple mais assez sympathique, qui m’évoque immédiatement une plage, et un blond sur un surf. En rentrant je tape dans Google le nom de l’artiste Tom Frager, et je découvre un blond, ancien surfeur, sur une plage. Je l’aime bien, même si j’ai un peu honte de ça, je l’avoue.
2009 toujours, j’écoutais l’album de Tom Frager (lui encore) et au milieu de cet album, une autre voix, plus profonde, une de ces voix qui touchent. Je me souviens encore de la première phrase qu’elle m’a prononcée, « j’ai, non, j’ai pas vraiment pensé à tout ça, moi j’avais mordu à l’hameçon… ». Me voilà sur Google toujours, à regarder, parfois la larme à l’œil, parfois avec amusement, les vidéos de ce rouquin inconnu du grand public, mais au talent immense. Six ans après, j’écoute encore Ben Mazué avec cette émotion, intacte, et son dernier album a été le premier à entrer dans mon auto radio la semaine dernière quand, sortant de chez le vétérinaire avec le cœur arraché, j’ai du trouver le réconfort nécessaire pour rouler une heure et demie pour rejoindre une maison privée d’un de ses habitants.
Chez ma mère, une publicité toujours, pour un jeu vidéo (je ne suis pas plus forte en jeux vidéos qu’en voitures), et un son, brut, un peu sauvage, mais dans le sens mystique du terme (je suis peut être la seule à me comprendre sur ce coup là), me revoilà à consulter internet pour découvrir le prodigieux Woodkid.
Quelque part en Bretagne, quelque part en 2010, quelque part au milieu de la nuit, c’était entre 2 et 3h du matin, je ne sais pas pourquoi je conduisais encore à cette heure là, mais c’est assez habituel chez moi, en fait. Le présentateur de RTL2, celui qui est puni et s’occupe de la diffusion nocturne, celle que trop peu de monde écoute, balance un groupe belge sur les ondes. Le morceau dégageait une énergie un peu dingue et donnait instantanément une pèche incroyable, même dans une voiture au milieu de la nuit. J’ai tendu l’oreille et entendu le nom du groupe, Puggy, le groupe belge avec aucun belge dedans. J’allais les voir au Bataclan un peu plus tard cette année là (parce qu’à l’époque, oui j’étais parisienne).
Toujours à la radio, toujours sur RTL2, toujours en voiture, mais à Besançon cette fois, en 2014. Je rentrais du boulot, passablement énervée par les bouchons causés par le f*cking tram, et j’ai ressenti un truc dès les premières notes, comme un coup de foudre. Avant même d’avoir entendu le premier mot du chanteur, je savais que j’allais aimer cette chanson, et la suite n’a fait que transformer cette intuition en certitude. J’ai fait l’effort inhumain de mémoriser quelques paroles (il semblerait que l’on ne puisse pas citer ma mémoire dans la liste de mes points forts) pour pouvoir aller interroger Google une énième fois (je pense que Google en a ras le bol de mes interrogations musicales). J’ai passé la soirée à saigner l’internet pour trouver tout ce que je pouvais sur Milky Chance, y compris les dates de concert. Un mois plus tard, j’embarquais trois amis pour la salle de La Vapeur à Dijon, pour aller les voir.
La Vapeur tiens, justement. Avant Milky Chance, il y avait un sombre groupe néerlandais de rock vintage-mais-un-peu-énervé-quand-même, formé par trois blonds au style mi-rock’n’roll mi-hollandais, que personne ne connaissait. Passé la surprise des premiers morceaux (parce que la première fois que tu les entends, ça pique toujours un peu dans les oreilles), on s’est regardés en disant « ah ouais quand même c’est vraiment pas mal », et même si notre sujet de conversation a probablement, pour cette première fois, tourné plus autour du blondinet de chanteur sans chemise que de la qualité de leur musique, les morceaux du groupe ont rejoint ma playlist spotify dès le lendemain. Depuis ce jour, ils m’ont tellement croisée après leurs concerts que maintenant, on se fait la bise. Du rock « Sixties on steroids » comme ils le définissent eux-même, le fantôme de Jim Morrison planant sur la scène, des musiciens fabuleux, un chanteur au charisme inégalable, on m’a dit récemment « tu ne peux pas dire que tu aimes le rock si tu ne connais pas Birth of Joy« , et en y repensant, je crois bien que c’est vrai.
Un matin, mon réveil sonne, et RTL2 me balance une musique toute douce, pleine d’émotion, puissante. Pendant trois minutes, je pense « ce morceau est le morceau le plus parfait du monde pour le réveil » (et sache que le réveil est vraiment pour moi le pire moment de la journée, je crois que ces quelques premières minutes du matin compensent toutes les autres pendant lesquelles je serai de bonne humeur, et je suis généralement le clown de service, pour te dire à quel point ma mauvaise humeur est concentrée sur ce si petit moment). Bon, juste après, RTL2 a trouvé ça rigolo de diffuser les Counting Crows, la bonne blague (mais si, tu connais les Counting Crows, c’est ce vieux groupe de mecs aux looks improbables et dont le chanteur aurait bien besoin d’une douche (avec un shampoing), et d’une interdiction de danser dans leur clips). Le morceau m’a poursuivi toute la journée, mais aucune de mes collègues n’a été capable de voir de quoi je parlais. J’ai laissé Google au repos ce jour là, car les sites des radios ont cette page magique où tu peux retrouver toutes les chansons diffusées dans la journée. Et pour identifier ce morceau inconnu, il m’a suffit de retrouver Mr Jones, et de regarder qui était passé juste avant. C’était Sam Smith.
Les Vieilles Charrues, l’an dernier. Christophe était en train d’endormir des milliers de personnes après trois jours et demi de concerts, de bières et de mauvaises odeurs (je te vends bien les Vieilles Charrues n’est-ce pas). L’organisation nous avait fait une bonne blague, pendant trente longues minutes, nous n’avions qu’un seul concert à voir, malgré les 4 scènes différentes. Au bout de ce moment interminable, un petit groupe, néerlandais encore (décidément), entamait son concert sur la petite scène du fond, réservée aux groupes-sympas-mais-qui-sont-pas-encore-assez-connus-pour-qu’on-leur-donne-une-scène-avec-des-écrans-autour. J’ai regardé le programme. « Bombay Show Pig, je connais pas, mais ça pourra pas être pire », que je lance. Et j’ai pris une sacrée claque. Une belle énergie, des morceaux travaillés, et enfin, une fille à la batterie (je sais pas ce que tu en penses, mais je trouve qu’on ne voit pas assez de batteuses). Ce jour là, ils ont fait crier et sauter sur place plusieurs centaines de personnes, moi y compris, heureuses d’avoir fait l’effort de fuir un concert soporifique pour marcher jusqu’à la petite scène du fond, écouter ce petit groupe néerlandais pas assez connu pour le talent qu’ils ont. Depuis, je les ai revus à Besançon, dans le cadre d’un festival, et j’ai pu me rendre compte que l’on n’avait pas besoin de s’échapper d’un mauvais concert pour les apprécier autant.
J’en ai encore beaucoup, des histoires de découvertes musicales, mais je pense qu’elles commencent à toutes se ressembler, arrivé là. Je pourrais t’en parler toute la nuit, je crois (oui parce que j’écris cet article de nuit, visiblement il n’y a pas que conduire que j’apprécie de faire à ce moment de la journée), de tous ces moments magiques où un nouvel artiste est entré dans mes oreilles, et donc un peu (beaucoup) dans ma vie. Parce que ce sont ces petites choses que ma mémoire si défaillante, curieusement, refuse de laisser partir. Et je crois que si elle imprime aussi bien ces souvenirs là, c’est qu’ils sont importants pour elle, et donc forcément pour moi. Je crois que j’aime me souvenir de ces petits moments hors du temps, de ces émotions des premières fois musicales, des coups de foudre pas amoureux, ceux des histoires d’amour qui peuvent être multiples et durer toute la vie.
Et toi, tu te souviens des moments précis où tu as découverts des artistes ? Tu me les racontes, dis ?
Sources photos : tafmag.com, archives du groupe Chinese man, De Ribaucourt Photographie, 6par4.com, pages Facebook : Woodkid, Tom Frager, Ben Mazué, Milky chance, Birth of Joy, Sam Smith.