J’ai découvert le travail de Vivian Maier lors de mon premier voyage à Amsterdam, en décembre 2014. Elle était exposée au FOAM, le musée à ne pas rater si tu aimes la photo et que tu te trouves à Amsterdam.
Une très petite exposition pour Maier, puisque la majorité des salles du musée était alors dédiée au travail du photographe Nobuyoshi Araki, qui soit dit en passant, ne m’a pas beaucoup touchée. Enfin si, je dois t’avouer que les quelques séries sur sa vie étaient vraiment pleines d’émotions et dégageaient quelque chose de très touchant (et troublant), mais dès lors que l’on arrive dans son travail pur, je n’accroche plus du tout. Je te montrerais bien quelques clichés ici, mais à vrai dire la décence m’empêche de le faire, et puis j’ai oublié d’interdire l’accès à mon blog au moins de 18 ans. Te voilà donc contraint à me croire sur parole lorsque je te dis que des femmes à moitié nues, attachées à côté de jouets en plastique Godzilla, ça m’évoque pas grand chose. Des parties génitales en gros plan sur des murs de 4 m de haut non plus, pas plus que des bouquets de fleurs à différents stades de décomposition, rejointes elles aussi par des jouets Godzilla (je cherche encore la symbolique je t’avoue).
Enfin je dis ça, mais peut être que je changerais d’avis le jour où je deviendrais célèbre en prenant une série de photos d’hommes nus pendus par les pieds portant des masques et des capes de super héros. Je suis sure qu’un critique arrivera à y voir une satyre de la société actuelle, angoissante, écrasante, laissant finalement l’homme vulnérable, faible, nu et sans défense face à ses peurs, alors même qu’il se pensait suffisamment fort pour résister. On me dédiera probablement un dossier dans un magazine, tout ça parce qu’une nuit, après une soirée déguisée, j’aurais fait monter un pote bourré nu dans un arbre avec sa cape pour le prendre en photo (ça a vraiment des avantages non négligeables de ne pas boire d’alcool et d’être entourée de gens qui eux ne se privent pas).
Bref, je dois probablement pas beaucoup comprendre l’art contemporain, en fait.
Mais Vivian Maier, ça j’ai drôlement aimé, le travail, et puis l’histoire de la photographe aussi.
Née en 1926 à New York d’une mère française et d’un père autrichien, Vivian Maier n’est apparemment élevée que par sa mère, accompagnée de Jeanne Bertrand, une photographe de portraits. En 1939, elles déménagent en France, où Vivian commence, en 1949, à s’intéresser à la photographie, et en particulier la photographie de rue.
En 1951, elle décide de rentrer à New York, commence à travailler en temps que nourrice et s’achète son premier appareil photo de qualité. En 1956, elle déménage à Chicago et est embauchée par une autre famille. Elle commence alors à développer elle-même ses films dans sa salle de bain privée. Elle n’a ce luxe que dans cette famille, qu’elle quitte les enfants devenus grands. Par la suite, toutes ses pellicules demeureront non développées.
Du noir et blanc, elle passe à la photographie couleur, puis subit des problèmes financiers qui la poussent à mettre de côté son appareil dans les années 1990. Une famille dans laquelle elle a travaillé plus jeune lui offre alors un petit appartement dans lequel elle vivra jusqu’à sa mort, en 2009. Son travail, stocké dans un box, sera vendu aux enchères pour non paiement du loyer. De toute sa vie, elle ne l’a jamais montré à personne.
Vivian Maier laisse donc derrière elle plus de 100 000 négatifs, achetés aux enchères par différents acquéreurs n’ayant aucune idée de la véritable valeur qu’allaient prendre ces clichés. L’un des acheteurs, John Maloof, travaille au moment de son achat sur l’écriture d’un livre sur Chicago et espère trouver dans ces cartons des clichés de son quartier pour illustrer son bouquin. Malheureusement, il ne trouve pas son bonheur dans les photos achetées et les archive. Quelques années plus tard, il les ressort pour les examiner de plus près, mais n’ayant aucune connaissance en photographie, il passe un peu à côté du talent de Maier.
En revanche, cela lui donne envie de se lancer dans la photographie, et peu à peu, il commence à nourrir une obsession pour les photographies de rue de Maier. Il retrouve alors les autres acheteurs du contenu du box et rassemble une bonne partie de son travail. Il commence alors à partager les clichés, et révèle au public le talent de la photographe.
Personnellement, j’ai vraiment été scotchée par l’oeil de Vivian Maier, ses photos sont toujours extrêmement bien pensées, prises au bon moment, très créatives et originales. Elle savait saisir chaque détail de la rue pour en faire une scène à l’ambiance particulière. Ses photos saisissent la vie et toutes ses émotions, l’instant, la rue, elles sont un témoignage fascinant du Chicago du siècle dernier (et de quelques autres villes/pays qu’elle a pu visiter).
J’avoue que le personnage et son histoire m’ont aussi particulièrement remuée. Vivian Maier avait de l’or dans le regard, et est pourtant décédée dans la pauvreté. J’ai toujours été particulièrement sensible à l’histoire de ces artistes découverts après leur mort, qui auraient tellement dû rencontrer ce succès de leur vivant. Combien sont-ils, aujourd’hui, dans l’ombre, à travailler sur des projets secrets, qui gagneraient pourtant à être partagés et révélés, à être exposés et vus par les amateurs d’art de toutes sortes ? Combien y a t-il encore de cartons de photos, de vieilles peintures, de gravures, d’enregistrements musicaux, de romans gisant dans des greniers après la mort de leur créateur, et méritant pourtant d’être découverts et partagés ?